Dre Alexandra Scheibler a reçu la Croix de Chevalier de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne, le 16 janvier 2020, sur proposition du consulat général d’Allemagne à Montréal. Originaire de Cologne, elle émigre au Canada en 2002, puis fonde le Festival Bach Montréal, dont la première édition a lieu en 2005. Elle en est la directrice artistique depuis 2007. Le festival est la première destination en Amérique du Nord pour la musique de Jean-Sébastien Bach et attire plus de 20 000 visiteurs chaque année. En 2019, un nouveau format a été lancé : des concerts gratuits et des discussions publiques dans la journée sont venus s’ajouter à la programmation de qualité déjà offerte par le festival.

Le président fédéral vous a décerné l’Ordre du Mérite pour vos nombreuses années d’engagement et pour vos mérites exceptionnels pour la République fédérale. Quelle était votre réaction quand vous avez appris la nouvelle? Vous attendiez-vous à cela ou c’était une surprise?

J’avoue que c’était la surprise totale. Je ne m’attendais pas du tout à ça, je me sens tellement honorée et j’étais très contente pour le Festival Bach. C’est un grand pas pour nous de recevoir cette reconnaissance parce que c’est toujours un long chemin pour un festival, une institution culturelle, quand on en fonde une, pour arriver à ce point-là où l’on peut dire : nous sommes sur la bonne route, nous avons du succès et de la reconnaissance. C’est toujours un moment très, très spécial et j’étais infiniment contente, nous nous sentons, je me sens très honorée.

Et ce long chemin a commencé quand vous êtes venu au Canada en 2002, n’est-ce pas?

C’est exact, puis… Je ne me rappelle plus quand on a eu l’idée du festival, mais le premier festival a eu lieu en 2005.

Quels étaient vos espoirs et vos attentes quand vous êtes venue ici : aviez-vous déjà un projet avant de venir?

J’ai fait mes études de musicologie en Allemagne et j’ai rédigé ma thèse de doctorat, ensuite je suis venue à Montréal à cause de mon mari. Je n’avais donc pas encore de projet particulier avant de venir, mais j’étais ravie quand mon mari a évoqué cette idée, il a dit spontanément : « Ce serait sympa de fonder un festival Bach ». C’est ainsi que c’est devenu mon projet.

Que pensiez-vous de la scène musicale ici en comparaison avec celle en Allemagne?

C’est une question difficile parce que l’offre culturelle et musicale est énorme en Allemagne. Je vivais à Hambourg à l’époque et chaque hiver, il y avait 50 Oratorios de Noël et de nombreux autres concerts, mais je dois dire qu’en arrivant ici, je me suis vite rendu compte qu’il y avait également une grande scène musicale à Montréal. Qu’il y avait deux orchestres symphoniques importants et de nombreux musiciens fantastiques! Je me suis aussi rendu compte qu’il y avait une grande scène de musique ancienne et qu’il y avait un grand intérêt pour ce genre de choses. C’était encourageant pour nous et pour la création du festival.

Vous avez écrit votre thèse sur la vie et l’œuvre de Leonard Bernstein, puis vous avez décidé de créer un festival dédié à Jean-Sébastien Bach. Comment s’est arrêté votre choix sur ce dernier?

Bernstein était le sujet déterminé pour ma thèse, un sujet très inhabituel à l’époque. Et Bach, quand on a affaire à l’art (et j’en ai eu affaire toute ma vie), on a affaire à Bach pendant toute la vie, on grandit avec ça. C’était le compositeur qui m’a le plus manqué ici, comme je l’ai dit avant, pendant mon premier hiver, il n’y avait ni l’Oratorio de Noël ni les autres compositions que j’écoutais habituellement en Allemagne. Cela a contribué à l’idée [de fonder le festival]. Par ailleurs, Bach est un compositeur qui est important dans le monde entier. Il y a de nombreux Festivals Bach, des organisations et sociétés Bach à l’extérieur de l’Allemagne.

Comment se déroule typiquement la préparation [du festival], quand commencez-vous?

Donc le festival lui-même a lieu sur une période de trois semaines, mais l’organisation, c’est toujours toute l’année et elle ne se termine jamais. Nous sommes en 2020, mais je suis en train de préparer les festivals de 2021 et 2022 en ce moment. Ce n’est pas seulement la préparation du programme; pour organiser un festival, on a besoin de bien d’autres choses, la logistique, les médias, le marketing, les commanditaires, les subventions gouvernementales, etc. C’est simplement un travail à temps plein.

Qu’est-ce qui représente l’apogée du festival pour vous?

Ce qui est le plus important pour nous, c’est d’avoir un programme artistique d’un niveau très élevé, de pouvoir prendre en compte des concerts dont on sait qu’il n’y aura pas énormément de public. Cela nous demandera plus de travail de persuader l’auditoire à venir, toutes les places ne seront pas vendues. Mais il y a souvent des projets artistiques qu’on veut réaliser, tout simplement parce qu’ils sont très, très importants. Ce qui nous a beaucoup fait plaisir dans les dernières années, c’est la mise sur pied de notre propre orchestre du festival. Grâce à cet orchestre, nous pourrons faire des projets très intéressants dans l’avenir. De plus, l’année passée, nous avons lancé notre Off-Festival Bach en journée avec de nombreux événements gratuits. C’est aussi un événement qui nous tient à cœur et nous espérons pouvoir le continuer dans l’avenir.

Que signifie votre travail pour vous?

Honnêtement, je trouve que c’est un grand privilège de pouvoir créer et développer un beau projet comme le festival. Tous les jours, j’ai hâte d’aller au bureau et de travailler sur la musique. Bon, c’est souvent difficile aussi, c’est lié à de nombreuses choses qui sont moins faciles; trouver les moyens financiers, des commanditaires, etc. Mais le plus grand plaisir, c’est de voir les visages heureux des personnes qui sortent des concerts. C’est ça qui nous encourage le plus, à chaque fois c’est fantastique.

L’Orchestre et le Chœur du Festival Bach permettent aux jeunes talents du Québec et du Canada de jouer avec des musiciens plus expérimentés. Envisagez-vous également un échange avec de jeunes musiciens allemands?

Nous avons eu quelques chanteurs qui venaient de Munich en 2018. Ils étaient dans le chœur, c’est toujours sympa de pouvoir créer un tel partenariat. C’est une chose que nous aimerions poursuivre dans le futur et il y a toujours d’excellents étudiants en musique qui participent, mais nous avons surtout des musiciens professionnels. La relève n’est pas notre seule priorité. C’est aussi le regroupement de musiciens pour un projet particulier qui est très beau. Souvent, c’est un avantage de ne pas avoir d’orchestre fixe, on se rencontre pour la première fois, on a un projet commun avec un chef d’orchestre inspirant et des solistes géniaux. On voit que les musiciens sont très motivés, ils le font avec joie et engagement. Le résultat correspond à ces émotions et ça fait toujours plaisir.

Vous avez l’objectif d’ouvrir la musique et l’œuvre de Bach aux jeunes, surtout avec Off-Bach. Avez-vous déjà fait des progrès en vue d’atteindre cet objectif?

Oui, absolument! Premièrement, je pense que c’est très intéressant que les artistes disent souvent qu’ils voient beaucoup de jeunes dans nos salles de concert. Ils disent que l’auditoire en Allemagne et en Europe est plus âgé, j’ai trouvé ça très intéressant. Lors des événements Off-Bach, nous avons remarqué que des jeunes sont venus et des enfants, même si ce n’est pas un programme destiné aux enfants. Nous pensons que les enfants peuvent tout à fait aller dans des concerts normaux, on n’a pas besoin de faire le clown pour eux. Mais il y avait beaucoup de jeunes et d’enfants, effectivement, c’est très sympa.

Et une dernière petite question : Si vous pouviez encore apprendre un autre instrument, lequel ce serait?

Le violoncelle.

Oui, moi aussi!

J’aurais aimé apprendre ça dès le début, je n’ai pas vraiment choisi le violon. Le violoncelle est juste incroyable.

 

Stéphane Lévesque, basson solo OSM; Anna Burden, violoncelle solo associé OSM; Dre Alexandra Scheibler; Dr Markus Lang; Andrew Wan, violon solo OSM

 

Dr. Markus Lang et Dr. Alexandra Scheibler

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